L’Histoire du thé plonge ses racines dans le passé lointain de l’Asie. Quiconque souhaite égrener ses pages doit savoir qu’il ne s’agit pas là d’une histoire ordinaire. En effet, l’histoire du thé est celle d’une boisson millénaire qui traversa tous les continents, les unissant parfois, les déchirant souvent, mais qui conquit le cœur de tous.
De même, dès lors que l’on s’intéresse un tant soit peu aux origines du thé, l’on comprend vite qu’il est bien plus qu’un simple breuvage destiné à étancher la soif. La création et le développement de cette boisson a été, depuis ses origines, la recherche constante d’un art de vivre, d’une subtilité et d’une délicatesse extrêmes. De fait, l’on peut dire que le thé a participé au processus de « civilisation des mœurs » qu’évoquait Norbert Elias. En effet, l’essor de cette boisson parfumée est allé de pair avec un déploiement civilisationnel dans le monde entier (en Asie, en Europe, en Amérique et en Afrique). Plonger dans les pages de l’histoire du thé c’est donc traverser la grande Histoire. Ce produit a en effet revêtu une telle importance dans notre quotidien, qu’il a façonné des pans entiers de nos sociétés.
Une boisson asiatique à l’heure européenne
Née en Asie, cette boisson qui nous enveloppe de sa chaleur et combat le sommeil, qui prolonge les veilles et donne de l’énergie, a très vite su séduire les palais européens en quête de douceur et de gourmandise. Cherchant le raffinement et le goût du sucré, ces derniers avaient ainsi coutume de consommer des vins doux et sirupeux tels que l’Hydromel ou l’Ambroisie, qui faisaient florès sur le pourtour méditerranéen. Le thé, en compagnon raffiné du sucre, ne tarda pas à les conquérir. En outre, sa pointe d’amertume n’était pas dénuée de charme et, bientôt, il devint la boisson préférée des Cours et des peuples européens.
Or, à travers lui, c’est un peu de l’esprit et de la philosophie asiatiques qui s’invite en Europe. Tandis que la Cour de France gagne en délicatesse autour des tasses ambrées, l’Angleterre revivifie sa culture grâce au thé. Il devient en effet une alternative saine à la consommation d’alcool parmi le peuple. Il est également un instrument impérial de domination culturelle et économique dans les colonies. Or ce regain civilisationnel ne fut pas sans sacrifice. En adoptant la boisson millénaire, les européens ont perdu un peu de la délicatesse de sa culture asiatique originelle.
L’histoire du thé, un voyage sensoriel aux parfums d’ailleurs
Découvrir l’Histoire du thé c’est donc partir en voyage à travers le temps et l’espace. C’est parcourir des milliers de kilomètres, des plaines Chinoises aux ports de Hollande, des steppes de Russie aux dunes du Maghreb. Vous voguerez avec nous vers l’Angleterre, Versailles, le Japon et jusqu’aux confins des terres africaines. C’est à ce voyage que nous vous convions à travers une série d’articles que nous publierons sur notre blog Thé Passion. Il s’agit là d’une histoire de commerce et de guerres. De culture et d’impérialisme. De spiritualité et de gourmandise. En retraçant l’histoire de cette boisson semblable à nulle autre et qui enchante le palais autant que l’imaginaire, vous baignerez dans l’exotisme et les parfums qui lui sont attachés. Plongez avec nous dans l’aventure palpitante du thé !
Les premières mentions du thé dans les livres d’Histoire chinois
Le thé est le fruit de siècles d’expériences, transmises de générations en générations par des paysans ingénieux et qui maîtrisaient l’art de la patience. Or, il occupe dès ses origines une place centrale dans la culture chinoise. À l’aune de son importance, il n’est donc pas surprenant que sa naissance soit auréolée d’un halo de légendes. Nous les aborderons en détail dans un prochain article.
Au-delà de la légende, les livres d’Histoire nous donnent eux aussi des indications précieuses quant à l’apparition de cette plante fabuleuse.
Ainsi, dès le XIIème siècle avant notre ère, le Er’ya, un dictionnaire de chinois ancien, atteste de l’emploi de « feuilles en infusion ». C’est ici la première mention de cette pratique consistant à plonger des herbes et des plantes dans de l’eau chaude pour en révéler les parfums.
Sous Confucius, au VIème siècle avant JC, une herbe appelée « Tu » est mentionnée dans le Livre des Chants, le Shi Jing. Elle aurait été utilisée comme offrande aux ancêtres. Très tôt donc, le thé revêt une dimension spirituelle et presque sacrée. Cette plante a, dès ses origines, un statut culturel particulier.
Enfin, les livres scolaires mentionnent quant à eux le fait qu’un certain Kwunyin, disciple du fondateur du taoïsme Lao-Tseu, en offrait à ses hôtes au Vème siècle avant JC. Une fois encore, le prestige du thé n’est pas à démontrer. Il est utilisé dans un cadre bien singulier, en signe d’hommage et de respect offert aux invités d’un homme de haut rang. Les liens que tissent le thé et l’hospitalité sont également intimement liés, et ce dès les origines.
L’expansion du thé en Chine lors de la période des six dynasties (386-589)
Très tôt dans l’Histoire de la Chine, le thé joue un rôle de premier ordre. En effet, dès le Ier siècle avant JC, l’Empire connait une réelle expansion sous les Han, grâce à un essor économique sans précédent.
La Chine s’affirme alors, et marque sa prééminence auprès de ses voisins. En 108, elle constitue les commanderies du nord et du centre de la Corée, imposant ainsi sa primauté. L’Empire s’étend alors de la mer du Japon jusqu’aux régions de Kunming, et du Yunnan aux frontières de la Birmanie. Au sud, Canton se développe elle aussi grandement en commerçant avec l’Inde et Java.
Le thé et la soie apparaissent comme des cartes maîtresses dans cette croissance nouvelle. Ils furent tous deux les matières premières les plus échangées à cette époque. La boisson ambrée et parfumée poussait en effet naturellement dans ces régions au climat propice. Son commerce débuta donc avec une grande évidence. La soie était déjà quant à elle fortement convoitée, toute auréolée de ses parfums de luxe et de préciosité. Elle s’arrachait donc à grand prix. Par voie de mer, l’Inde faisait le pont entre la Chine et la Méditerranée. Par voie de terre, la célèbre Route de la Soie reliait quant à elle le fleuve jaune aux terres européennes par l’Asie centrale et la Syrie.
Le thé, un moteur économique et agricole en Chine méridionale
Au IVème siècle après JC, le thé poursuit son expansion. Il se répand peu à peu vers le sud, alors en paix et prospère. Sa percée vers le nord est quant à elle contrariée par des troubles qui agitent encore les régions septentrionales. Ainsi, il serait la boisson préférée des habitants de la vallée de Yang Tse Kiang au sud à cette époque. De grands défrichements ont alors lieu dans cette vallée, ainsi que dans celles de la Wei et du Se-Tchouan. Une agriculture plus élaborée voit peu à peu le jour. La culture du thé a ainsi contribué à impulser un développement agraire et économique nouveau.
L’essor du thé en Chine reflète un fort développement politique
Si le thé fut un moteur de développement agricole, il accompagna également la croissance économique et le renforcement du pouvoir central. Boisson de prestige, dont la dégustation confinait plus à l’art qu’à la simple gourmandise, son commerce connait un essor extraordinaire à mesure que l’Empire assoit son pouvoir en Asie.
Dès le VIIème siècle en effet, la Chine accroît considérablement son influence sur tout le continent Asiatique. Le Cambodge, la Corée et la Transoxiane reconnaissent ainsi la suzeraineté chinoise. De grands travaux d’infrastructures sont également menés afin de faciliter les échanges. Un Canal reliant la région du Bas Yang Tse à la vallée Wei et au Fleuve Jaune est bâti. Il joua un rôle déterminant dans cette expansion dont l’apogée au VIIIème siècle fera rayonner la Chine comme jamais auparavant. Cette dernière devient en effet un carrefour de civilisations, mêlant les influences de l’Asie Centrale à celles de l’Inde et de la Perse. C’est à cette richesse culturelle extraordinaire que le VIIIème siècle doit son appellation « d’Âge d’Or » pour l’Empire.
La taxation du thé au VIIIème et le développement d’un nouveau système monétaire
Les échanges commerciaux se développant très fortement, les produits les plus prisés furent alors taxés lourdement. Ce fut le cas du thé qui, en 793, devient un monopole d’État, tout comme le sel et l’alcool avant lui. À la fin du VIIIème siècle, le commerce du thé représente 12% de celui du sel. Cela peut paraître peu de prime abord, mais les revenus issus des échanges de sel étaient tels à l’époque, que ce montant est en réalité considérable. Le thé est en effet devenu la boisson la plus courante du peuple chinois au cours de ce siècle.
En outre, le développement d’un système de crédit nouveau et révolutionnaire, le feiqian ou « monnaie volante », permet de dynamiser les échanges entre les différentes provinces. En effet, les marchands de thé viennent en nombre livrer leur marchandise dans la capitale, contre laquelle ils reçoivent des reconnaissances de dettes sur papier. De retour dans leurs provinces d’origine, ils échangent alors ce papier contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Ce système permet de limiter le transport d’argent sur de longues distances, ce qui pacifie et sécurise les échanges. Toutes les conditions sont donc propices au formidable essor du commerce du thé aux VIIIème et IXème siècle.
Le thé devient peu à peu la boisson commune de tous les peuples d’Asie
Dès le Xème siècle, l’Empire connaît des turbulences. Les régions du nord s’agitent et traversent des périodes troubles. Toutefois, ces soubresauts politiques ne sauraient contrarier le commerce du thé qui poursuit son ascension. Les provinces maritimes et les provinces du sud telles que Yang-Tse continuent leurs échanges imperturbablement. Canton connaît alors un essor véritable puisqu’elle accroît ses productions de soieries et dynamise ses exportations de thés vers le nord.
Une ère de prospérité réelle et durable s’ouvre au sud, et ce jusqu’aux conquêtes mongoles du XIIIème siècle. Cela permit au thé d’avoir toute latitude pour s’imposer comme une habitude de consommation solide, et un marqueur civilisationnel fort. De fait, il conquit tous les peuples qui traversèrent ou s’installèrent dans les régions chinoises au cours des siècles. Les Mongoles, les Tartares, les Turcs et même les nomades Tibétains, tous adoptèrent le thé comme boisson courante. Pour les nomades, il constitua même un apport salvateur dans leur régime alimentaire constitué majoritairement de lait et de viande. Consommé en fortes quantités, le thé combla quelque peu leurs carences en fruits et en légumes et les aida à combattre efficacement certaines maladies.
Ici s’achèvent la première page de notre voyage à travers l’Histoire du thé. Vous verrez que cette dernière nous réserve encore bien des surprises. Bien plus qu’une simple boisson réconfortante, le thé fut en effet un pilier majeur de la civilisation, tout d’abord chinoise, puis d’autres peuples d’Asie. Vous découvrirez dans un article prochain le rôle qu’il joua dans l’essor et le déclin des différentes dynasties, mais également sa propagation dans toutes les cultures du continent.
Lire le chapitre 2 : L’Histoire du thé: Le développement du thé en Chine sous les T’ang
Lire le chapitre 3 : L’Histoire du thé: L’avènement d’une civilisation du thé sous les Song